Ces derniers temps, il a beaucoup été question de travaux, de mise à jour d’un très ancien cimetière, d’engins de chantier tonitruants, de polémiques, et de cris.
J’essaie de comprendre, de démêler les sons de cloche(merle), les faits et les gestes, les opinions et les certitudes, les tenants et les aboutissants.
Résumons-nous donc : un permis de construire a été délivré pour la construction d’un « centre socioculturel intergénérationnel », sur la place en face de Saint Jacques le Majeur, notre petite église. J’imagine qu’il s’agit d’un centre où auront lieu des activités regroupant différentes générations. Je ne sais pas à quoi ressemblera le bâtiment, délicate question, une construction moderne si près d’un monument classé par les Monuments Historiques (voûte achevée au XIIème siècle).
Les pelles mécaniques investissent le lieu, apparemment pour modifier le passage d’un câble EDF, et mettent au jour des ossements humains. J’avais bien remarqué le vieux cimetière, banal environnement d’une église de cette époque en France, en Navarre, et ailleurs. Je connaissais la présence d’ossements dans les loculi de l’église, mais je n’avais pas imaginé que ce cimetière (sur plusieurs couches, la plus ancienne daterait du IIIème siècle) tenait tout le parvis, persuadée que j’étais de me garer sur de la roche dure quand j’allais rendre un livre à la bibliothèque.
Devant mon étonnement, les « anciens du Plan » rigolent. « Il y a longtemps qu’on le savait, Plume, quand on a construit l’école (la crèche actuelle) tu sais, on en a trouvé plein, des os… »
Je comprends mieux pourquoi cette grande aire n’a jamais été construite, alors que la majorité des villages médiévaux se presse autour de leur lieu de culte. Et je comprends mieux cette atmosphère particulière qui règne sur cette grande place ventée.
Donc, des ossements sont mis au jour. Des particuliers repèrent la chose, et préviennent la gendarmerie, la DRAC (Direction Régionale des Affaires Culturelles), les archéologues qui vont avec, les journalistes, comme il se doit lors d’une telle découverte.
Le dimanche (le dimanche !!!) la gendarmerie se déplace (alors qu’il a neigé et qu’il fait froid !!!) et pose une « ceinture de sécurité ». Le chantier sera interrompu, un court laps de temps. Quelques heures durant lesquelles les archéologues n’auront pas le temps de faire une vraie fouille, simplement un « contrôle d’identification » qui devrait se solder par un rapport écrit.
L’autorisation de poursuite du chantier est donnée par la DRAC, le chantier devant impérativement se poursuivre, et les engins creusent et déterrent… d'autres os humains.
Quelques Plandalens protestent, une tombe creusée dans la roche est brisée, mais les autorités interviennent. La tension monte, des noms d’oiseaux fusent sur le parvis de l’église, déjà fort mis à mal.
Les protestations seront vite écrasées ; qui peut lutter contre une pelleteuse ?
L’exercice de la démocratie est parfois bien difficile, c’est ce qu’ont dû se dire les spécialistes en archéologie venus sur le site. Ainsi que les journalistes, spécialement « montés au Plan », traités de rédacteurs de « rubriques de chiens écrasés et de rats crevés ». Les Plandalens, mieux rompus à ce genre de sortie, seront eux qualifiés de « socialistes » (???) et de « zozos ».
Et les trous sont rebouchés. Avec du tout-venant.
Mais que sont devenus ces pauvres ossements ?
Mêlés aux gravats extraits des tranchées, ils ornent aujourd’hui le bord de la D80, face à ce prestigieux « Espace Trouin-Le Corbusier » dont s’enorgueillit notre commune.
Evidemment, je ne suis plandalenne que depuis une quinzaine d’années. Née en Provence, j’ai passé toute ma vie sur ce même terroir, mais mes ancêtres ont une sépulture nettement plus septentrionale. Cela ne m’empêche pas d’éprouver un certain malaise depuis quelques jours.
Il n’est donc pas question pour moi d'ancêtres malmenés, ni de religion, ni de rituel, ni même d’ésotérisme. Pour moi ces ossements ont été habillés de chair, de sang, et dotés de pensée et d’âme. Il y a longtemps, certes. Il ne reste que des os. Et alors ?
J’imagine mes propres os, extraits à la pelleteuse d’ici 200 ans, un jour où un « maître d’œuvre » (d’œuvre !!!) aura l’ambition, dans un but, naturellement "humanitaire", d’améliorer le quotidien de ses prochains, de construire un Mac D.nald’s ou une station d’épuration à l’endroit où les miens m’auront enterrée. Mes os dans une pelleteuse, ça me rappelle d’autres images…
Je n’aime pas non plus l’idée de mon crâne, trouvé lors d’une fouille approximative, exposé sur l’appui de fenêtre d'une nouvelle école, ni dans la vitrine d’un musée, même si c’est pour une bonne cause.
Même si nous ne savons pas s’ils n’appartiennent pas à un ancêtre que nous aurions abhorré, ces os déterrés « accidentellement » mériteraient une sépulture décente. Et non un tas de gravats en bordure d’une route départementale.
Hier, suite aux travaux (d’autres travaux, encore d’autres travaux, on n’en sort pas des travaux, mais c’est une autre histoire) il m’a fallu rouler sur le parvis de l’église, et je pensais à ces corps enfouis…
Je pensais aussi à ce centre "intergénérationnel culturel et autres" dont je me demande quelle en sera l’atmosphère, sachant ce sur quoi il sera construit.
Je n’irai pas.
Et j’ai pris une décision. Être incinérée.
A tous ceux qui se posent des questions archéologiques : le blog de Fred, ici, qui explique bien mieux que je ne saurais le faire les différentes couches de sépultures (Supposition : du IIIème siècle à celui de la grande peste de 1620)
Pour conseil, j’ai appelé le presbytère de St Maximin, qui préconise de ramasser les ossements épars pour les enterrer décemment, bénédiction à l’appui, à une date ultérieure que je vous communiquerai. Si je parviens à avoir l'info...
Bien à vous
Plume d'Oie