Septembre 2010
Il est encore tôt, Pierrot le Mistral fait le ménage dans le ciel lorsque je rejoins Jean-Louis au bar de la Mairie pour un café rituel. « On y va ? »
Le 4x4 garé sous un chêne vert, nous voilà partis sur la piste de Taillane. Ca grimpe, on attaque la côte un peu trop vite, les cailloux roulent sous mes semelles, et le vent me gèle le nez. En cheminant, Jean-Louis me raconte Meynarguettes.
Meynarguettes est un village de la Sainte Baume, abandonné depuis 1839. Il sera rattaché à la commune de Mazaugues. Meynarguettes a été pratiquement ruinée au cours des guerres de religion à l’époque de Henri III, vous savez ce roi poignardé par un moine dominicain alors qu’il siégeait sur sa chaise percée. Malgré la mise à sac du village, son activité avait repris et s’était prolongée jusqu’à la Révolution.
Jean-Louis s’arrête au milieu de la piste, jette un coup d’œil sur sa droite : « C’est par là ». Par là ? Il n’y a pas l’ombre d’une draille. Levant haut les pieds, il s’engage dans les herbes au milieu du fouillis de chênes et se retourne. Le sourcil et l’index levé il me dit gravement, en détachant ses mots : « Faut chercher les pîtes rouges » et me désigne un point sur l’écorce d’un pin sylvestre.
En crapahutant à travers les arbres rabougris et les rochers couverts de mousse je demande : « C’est en haut ? »
« Oui ... »
« On peut parler de site défensif alors ? »
« Ah ça oui, on peut… C’était une forte position qui commandait le passage Nord-Sud. » Jean-Louis poursuit son explication en même temps que sa quête de « pîtes rouges ». Les protestants, les catholiques en guerre, le duc d’Epernon qui utilisa la tour des Sarrazins avant l’assaut de Meynarguettes, alors chef-lieu de commune, le château Delestang, la glace vendue 8,50 francs en 1890 à Marseille, et les ouvriers payés 3 francs pour une journée de travail.
« Tiens, regarde, là il y a un beau point de vue ». On est presque en haut. Je suis un peu essoufflée, l’arrêt est le bienvenu.
Je continue à suivre Jean-Louis en le bombardant de questions, lorsque soudain, s’interrompant au beau milieu d’une phrase et presque théâtral, il se retourne avec un geste ample : « Meynarguettes ».
Derrière lui, à travers les chênes, je devine un mur haut de plusieurs mètres percé de meurtrières. Adossé à la roche, son appareillage simple n’a visiblement pas été exécuté par des tailleurs de pierre. Elles ont été posées telles quelles, sans doute par des paysans. Je me demande de quoi est fait le ciment qui joint chaque pierre. « On appelle ça le mortier d’hirondelle. » Un tuf, arène granitique plus ou moins argileux, mouillé et appliqué entre les moëllons en guise de liant. Il ne servait pas à assurer la solidité d’une construction mais plutôt à colmater les vides entre les pierres. Ce procédé était utilisé bien avant l’arrivée de la chaux et ne l’est plus du tout de nos jours, on comprend aisément pourquoi en regardant l’état des vieilles bâtisses.
Un croquis exécuté par Jean-Louis représentant une arche double me revient en mémoire. « Elle est plus loin, mais la partie supérieure s’est effondrée, tu vas voir. » Nous grimpons tout en haut, en examinant au passage les pans de murs de pierre grise, où le lichen a posé ses touches dorées.
L’arche ne laisse pas de m’intriguer. D’un côté, on imagine facilement l’intérieur d’une bergerie, mais l’autre donne sur un à-pic. A quoi servait-elle donc, si ce n’était pas une porte ? A moins que certains éléments de bois aient disparu avec le temps. Nous supputons en descendant la pente sud, et je me rends compte que depuis notre arrivée on ne sent plus du tout le vent, même à l’instant où nous étions au sommet. Les Anciens avaient bien choisi leur colline.
Le croquis de Jean-Louis, daté de Mars 1978
J’ai entendu dire qu’il y avait une chapelle. Jean-Louis est dubitatif. « Mmoui, plus bas. » Plus bas c’est surprenant. Habituellement une chapelle, ça se construit tout en haut. La ruine qu’il me désigne est bien mal orientée pour une chapelle. Car depuis les origines, tout édifice chrétien digne de ce nom se doit d’être orienté vers le levant. Perplexe, j’examine les pans de murs envahis de lierre, qui menacent de s’effondrer. « Tu ne m’avais pas parlé d’une cuve baptismale ? »
« On en a trouvé une, mais elle a été déménagée à Font Frège, je crois Ou à la Garnière, je ne sais pas bien. » J’essaie de me représenter le déménagement d’une pareille masse à travers les chênes verts. « Les marches de Pivaut viennent aussi de l’ancienne église » me précise Jean-Louis souriant qui a dû deviner à quoi je pense.
Bon, cette église qui devait être une habitation, ces longs pans de mur, comment était la vie ici il y a deux siècles ? J’essaie de faire abstraction de l’envahissante végétation pour en reconstituer l’ordonnancement. Où étaient les rues ? Je devine des maisons d’habitation, mais ces grands pans de mur ? Pas de restes de tuiles par terre, de quoi étaient faites les toitures ? Comment se déroulait le quotidien de la cinquantaine d’habitants qui peuplaient le village ? Manifestement Jean-Louis partage mon goût pour imaginer la vie de nos ancêtres pas si lointains, et nous nous interrogeons devant chaque restant de mur moussu.
« Tu sais, on décrit toujours Meynarguettes comme un village de glaciers, mais il existait longtemps avant l’époque des glaciers. Les habitants devaient bien vivre de quelque chose. »
Tiens oui, de quoi pouvaient-ils donc vivre, ces autochtones perdus au milieu du nulle part du massif d’Agnis ?
Jean-Louis pense aux élevages ovins et caprins. Il est vrai que l’on n’imagine pas la Sainte Baume comme un territoire agricole. A part des pois chiches, je ne vois pas bien ce que l’on peut cultiver sur cette terre maigre. Quelques champs de blé dans les fonds de combe où la terre s’est accumulée, mais en haut d’une colline pleine de cailloux ? Ces longs murs éboulés sont sans doute les restes des bergeries. De grandes bergeries.
Sur le chemin du retour Jean-Louis égrène l’historique de Meynarguettes et regrette à voix haute de n’en connaître qu’une partie : la dernière. Mais il ne reste que peu d’écrits, et il est bien difficile d’y accéder. Alors vous devinez, je me mets à chercher sur Internet, et à ma grande surprise, on trouve des traces de Meynarguettes depuis l’An Mil ! Quelques sites s’intéressent au sujet, notamment celui qui s’emploie, virtuellement, à faire revivre le village (Ici). J’ai plongé avec plaisir dans mes bouquins d’Histoire de France, histoire de remettre ces évènements dans leur contexte national, et régional, puisque la Provence fait partie de la France depuis une époque relativement récente.
Voici ce que j’ai pu glaner, en essayant de ne pas être trop barbante, pour ceux que l’Histoire, et les histoires passionnent. Ici.
Plume d'Oie